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Dark Patterns : le côté obscur du web design

Agence conseil & communication digitale
Vous shoppez en ligne et vous avez cliqué sur le bon bouton, pourtant le site internet ne vous emmène pas là où vous voulez ? Impossible de se désinscrire de cette satanée newsletter ? Vous avez soi-disant acheté un produit que vous n’avez jamais mis dans votre panier ? Non, ce n’est pas de votre faute mais celle des Dark Patterns.

Eh oui. Encore une expression en anglais ! Le web en est truffé, encore plus en UX (User eXperience), cette branche du design qui est encore jeune. Néanmoins, sa définition ne saute pas aux yeux. Pourquoi Dark ? Qu’est-ce que Pattern ? Une chose est sûre, si vous naviguez régulièrement sur les internets : vous avez déjà croisé et ragé sur le Dark Pattern

Si, si, je vous assure ! Vous y avez été confronté. Il prend de multiples formes : graphique, textuelle, et même spatiale ! Jusqu’à aller titiller les experts juridiques et le RGPD. Je vous propose donc de vous éclairer sur les Dark Patterns : de les détecter, d’en comprendre leurs fonctionnements et d’en éviter les pièges.

Suivez le guide !

UX Design, Dark Design : kézako ?

Rapide retour en arrière : les prémices de l’UX design sont inventés dans les années 1940 au sein des usines Toyota après une étude sur l’interaction Homme-Machine. Le but : améliorer la productivité des employés, basée sur la compréhension (et la maîtrise) de leurs outils. Le terme UX, lui, est inventé plusieurs décennies après, en 1990 par Donald Norman (non, ce n’est pas un pseudonyme). Il est d’ailleurs l’auteur d’un ouvrage essentiel et encore d’actualité en 2021 : The design of everyday things. En somme, l’UX serait un équilibre entre design et ergonomie pour une utilisation simple d’un produit. Aujourd’hui, l’UX se réfère surtout au numérique : web, applications mobiles, interfaces interactives. Et bien d’autres.

Le Dark Pattern (terme inventé par Harry Brignull en 2010), également appelé Dark Design, est l’antagoniste de l’UX Design. S’il prend de nombreuses formes, son but unique est de piéger le consommateur lors de l’utilisation d’un produit ou d’un site internet. Attention ! Il ne s’agit pas d’un scam ou de pratiques illégales. Le Dark Design n’a pas pour vocation de vous voler vos numéros de votre carte de crédit mais de vous désorienter, de vous « cacher » des informations essentielles durant votre navigation, sur internet par exemple.

Pour faire simple : que vous réalisiez vous-même une action que vous n’aviez pas consenti au départ. Fourbe, non ? Et moralement discutable puisque certains Dark Patterns utilisent l’inattention de l’utilisateur pour réussir leurs coups.

Mais que fait la police de l’UX ?

La frontière est si mince avec l’escroquerie que même la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’en mêle ! Garante des libertés et du droit sur internet, elle s’est emparée de la problématique du Dark Pattern début 2019 dans un document particulièrement riche et intéressant.
La CNIL regroupe le Dark Pattern en quatre catégories :

  • Pousser l’individu à partager plus que ce qui est strictement nécessaire.
  • Influencer le consentement. 
  • Créer de la friction aux actions de protection des données. 
  • Dérouter l’individu.

Ces actions prennent de nombreuses formes : ne pas vous indiquer la TVA avant le panier d’achat, inverser les formes des boutons de validation, mettre une condition générale d’utilisation peu visible, ajouter par défaut un article dans votre panier d’achat (c’est alors à vous de le supprimer, sinon c’est facturé), vous décourager de lire les conditions d’utilisation d’un site et partager vos données personnelles plus que nécessaire (coucou Facebook, coucou Google), cocher par défaut une case que vous n’auriez pas coché en premier lieu… Bref, vous flouer en toute légalité !

Quel rapport avec le design ? Tout ! C’est par le design et la rupture avec les codes graphiques établis (entre autres) que ces sites vous “piègent”. Les pratiques et les usages de navigation dans le numérique sont désormais intégrés par la majorité des utilisateurs. La croix pour fermer une fenêtre, le bouton vert pour valider, le bouton rouge pour refuser, la case vide à cocher, etc. Inversez ces codes et l’utilisateur inattentif tombera dans le panneau.

À quoi ça ressemble le Dark Design ? Éclaire-moi, Julien !

Je vous montre quelques exemples ! Il existe déjà tout un glossaire pour ces pièges, qui parlent d’eux-mêmes : Trick questions, Sneak into Basket, Roach Motel, Privacy Zuckering, Price Comparison Prevention, Misdirection, Hidden Costs, Bait and Switch, Confirmshaming, Disguised Ads, Forced Continuity, Friend Spam…

Le “Privacy Zuckering”

Commençons avec le “Privacy Zuckering” qui se traduirait en français par “La vie privée selon Mark Zuckerberg”, l’inventeur de Facebook. Vous conviendrez que ça en dit long lorsque vous avez une catégorie de Dark Pattern à votre nom.

Capture d’écran de Facebook quand j’ai voulu supprimer mon lycée.

Ici, sur Facebook, l’inversion des codes usuels des boutons trompe l’utilisateur. Rien de bien méchant, mais le premier réflexe est de cliquer sur le bouton bleu pour valider. Erreur ! Le bouton bleu vous fait annuler votre démarche. En plus de stopper net votre action initiale, Facebook vous fait passer inconsciemment un message : c’est mal de supprimer une information. Cette occurrence en design se répète à plusieurs endroits sur le site. J’en profite pour rappeler que la suppression d’un compte Facebook n’était pas possible il y a encore peu de temps. La seule option disponible était “suspendre son compte”. Moins brutale que “supprimer” – les mots ont un sens dans le Dark Pattern. Le résultat en revanche restait à l’avantage de Mark Zuckerberg :  comptes inactifs mais bien présents sur les serveurs de Facebook.

Le Misdirection

Poursuivons avec une fourberie dans laquelle tous les utilisateurs sont certainement tombés. Moi-même, en rédigeant cet article, je me suis fait avoir : la mauvaise direction. Sur glassdoor.fr, ils utilisent le Dark Design pour vous pousser à laisser un avis, condition sine qua non d’entrée sur leur site pour consulter les autres pages d’entreprises et offres d’emplois.

Capture d’écran de Glassdoor lors de la dernière étape pour ouvrir votre compte.

Observez bien. À ce stade, le seul bouton disponible pour continuer votre inscription et profiter des services du site est “Soumettre l’avis”. Ne vous risquez pas de cliquer sur ce CTA bleu sans avoir complété les champs d’informations : le site encadrera en rouge ce que vous avez mal rempli ou laissé vide. Un mélange de culpabilité et d’ordre, vous poussant à laisser un avis sur une entreprise dans laquelle vous travaillez (ou avez travaillé), même si vous n’en avez pas envie de prime abord.

Maintenant, regardez à nouveau la capture d’écran, dans le coin supérieur droit. En plus petit, moins visible, en gris, se trouve le point de sortie, avec un mot bien choisi : ignorer

Et ce n’est pas fini, tenez-vous bien ! En cliquant sur ce lien ignorer, le site simulera un bug qui vous transportera au début de ce formulaire, vide. C’est en réalité une boucle ! 

Je vous le dis tout de go : je n’ai pas pensé à un Dark Pattern, pensant avoir affaire à un vrai souci technique. Mais ayant tenté l’expérience dix fois (pour mes statistiques) et obtenu dix fois le même bug, dans des conditions différentes à chaque fois (changement d’email, de navigateur, de système d’exploitation), ce n’était plus un hasard ou un bug infortuné. Ce site porte à lui seul la catégorie Misdirection à un très haut niveau !

Et comme je suis sympa, je vous donne la porte de sortie : il faut repartir sur la homepage du site, votre inscription ayant été en fait déjà validée plusieurs étapes en amont.

Le désabonnement email

Terminons avec un Dark Pattern hors catégorie mais pourtant commun. Je l’évoquais dans l’introduction : l’impossibilité de trouver le bouton pour se désinscrire d’une newsletter. Je vous rassure, vous n’aviez pas de problème de vue lorsque vous cherchiez sans trouver ce fameux lien de désinscription. Est-ce une omission des développeurs ? Pas certain puisqu’il s’agit d’une pratique commune à de nombreuses autres newsletters d’entreprises différentes. Puisqu’une image vaut mille mots, voici un exemple parlant : 

L’astuce est donc de coder le lien de désinscription en blanc. Malin. D’autant que si la loi en France oblige l’émetteur d’une newsletter à joindre un moyen valable de stopper les emails, elle n’oblige pas spécifiquement à ce que ce moyen soit visible ! Ni légal, ni illégal. En cas de pépin, l’entreprise peut prétexter un souci technique. Après tout, le lien est bel et bien présent. 

Et après ?

La frontière est si floue entre la légalité et l’usurpation de fonctionnement qu’il est difficile de sanctionner les Dark Patterns. Certaines (grosses) amendes ont été données ça et là, principalement autour de la protection des données personnelles. D’autres sites continuent d’utiliser des Dark Patterns pour influencer un choix ou augmenter un panier d’achat. Cela reste une mauvaise expérience pour l’utilisateur, qui ne reviendra pas, et préjudiciable pour les marques qui emploient ce type « d’astuces »… à condition que le client s’en rende compte !

Est-ce que les Dark Patterns disparaîtront pour autant ? Absolument pas. Il faut en revanche compter sur l’utilisateur lui-même, en fonction de son expérience des sites qu’il visite, afin qu’il ne tombe pas dans le panneau.

Bonus

Pour aller plus loin dans le Dark Pattern, Chloé, notre développeuse de talent, a trouvé ce site de mauvaises pratiques UX. Les situations que vous allez rencontrer sont volontairement à l’opposé d’une logique d’utilisation classique d’un site internet, à la frontière de l’absurde. Néanmoins, ces designs utilisés dans un contexte sérieux constituent des exemples parfaits du rôle des Dark Patterns.

La ressource pour aller plus loin

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